Youpi ! La réelle faisant défaut, l’administration française va tenter l’intelligence artificielle.
Les astres s'alignent pour une réussite fulgurante.
Avec les développements récents de l’intelligence artificielle, il apparaît clair que cette technologie va, progressivement, tous nous toucher d’une façon ou d’une autre : comme le mentionnaient ces colonnes il y a quelques jours, l’intelligence artificielle s’adresse à tous, et c’est tellement vrai que, comprenant la tendance et l’importance de s’inscrire avec elle, l’administration française s’y met à son tour !
Oui, vous avez bien lu : mue par l’une de ces pulsions que seule notre Belle & Grande République du Bisounoursland est capable de produire, la jeunesse pensante de notre gouvernement a décidé de pousser l’intelligence artificielle sur l’ensemble de notre administration qui, à l’évidence n’attendait que ça. Ainsi, lors d’un déplacement à Sceaux dans une maison “France services” – ce guichet unique regroupant fisc, poste, Pôle emploi et CPAM autre débit d’argent des autres – le premier ministre Attal s’est fendu d’une déclaration pour annoncer la création d’une intelligence artificielle “à la française”.
Selon le premier ministre, cette nouveauté technologique sobrement baptisée Albert sera déployée dans la plupart de nos services publics, propulsant la France dans un chapitre neuf de ce XXIème siècle pourtant encore jeune, celui où le pays sera le premier à disposer d’une telle technologie “100% souveraine”. Le fait qu’aucun autre pays, y compris même les plus puissants, ne se soit pas déjà lancés dans cette aventure ne semble pas refroidir l’actuel locataire de Matignon : la France sera la première à mettre vigoureusement et courageusement le doigt dans l’engrenage de la technologie souveraine d’intelligence bureaucratique artificielle, dont l’évocation seule déclenche des frissons de plaisir chez tous nos ministres.
On notera l’utilisation du prénom “Albert” pour l’IA, à la fois bien français et peut-être choisi pour rappeler une sorte de majordome qu’on pourrait ainsi convoquer pour régler ses petits soucis avec l’administration et sa bureaucratie aussi compréhensive que ses procédures sont simples et souples pour s’adapter aux exigences du terrain.
D’ailleurs, le frétillant Attal a précisé en quoi cette nouveauté allait changer le quotidien des cobayes administrés français : il s’agit essentiellement d’obtenir des procédures plus simples et plus rapides, tant pour les gens devant les guichets que pour ceux derrière, qui pourront, l’assure le Premier Ministre, se recentrer sur le contact relationnel, dont on sait qu’ils sont tous absolument friands.
À titre d’exemple, Attal explique qu’Albert permettra à l’administration fiscale de rédiger des “pré-réponses” aux usagers lorsqu’ils viendront tenter de comprendre pourquoi, subitement, ils ont été ponctionnés trois fois ou qu’on leur a taxé à nouveau un héritage qu’ils ont pourtant déjà déclaré il y a trois ans, ou pourquoi on leur réclame une taxe foncière sur un bien qu’ils ont vendu cinq ans plus tôt, etc. On attend avec gourmandises les pré-réponses à des questions sur des contrôles fiscaux farfelus : Albert promet déjà des prouesses.
De la même façon, on imagine déjà l’aide qu’une telle IA pourra fournir, depuis la liste des démarches détaillées pour obtenir toutes les subventions même les plus cachées, jusqu’aux moyens légaux et argumentés pour réduire ses cotisations ou ses taxes dans différents domaines. Nul doute que les administrations seront au taquet pour garantir de telles performances, hein.
De façon générale, ce nouveau gadget bond technologique dans les administrations ressemble à s’y méprendre aux propositions déjà formulées par nul autre que notre Bruneau de Bercy concernant moult simplifications qu’il entend mener pour aider tout le monde et son chat.
Du reste, on a une idée assez précise de ce que va donner cette initiative.
D’une part, le passé de l’État français en matière d’informatique à la sauce publique suffit à se rassurer : Louvois (la paie des militaires), Numergy ou Cloudwatt (le “cloud souverain”), l’ONP (paie du personnel public), Genesis (Justice), Faeton et la numérisation des cartes grises ou des permis de conduire, Salto, j’en passe et des pires, tout l’historique de l’informatisation des administrations est maintenant truffé de ces pépites majeures que les Français regardent à présent, les yeux humides d’émotion et de gratitude, et que le monde entier nous envie évidemment. Dans ce contexte, l’avenir d’Albert est déjà assuré.
D’autre part, on a la preuve que l’intelligence artificielle fait des miracles puisqu’elle est déjà employée dans l’administration fiscale. Eh oui, l’institution pionnière qui a lancé l’usage de cette technologie dans l’administration française, rappelez-vous, ce fut le fisc avec son utilisation pour repérer les piscines non déclarées.
Une fois mis en place, l’administration n’avait pas hésité à fanfaronner de façon peu prudente : 140.000 piscines avaient ainsi été débusquées par la puissance de calcul des ordinateurs de Bercy et la finesse de l’intelligence artificielle mise en place. Les Français n’avaient plus qu’à bien se tenir, les photos satellites et l’IA les ont à l’œil.
Cela a d’ailleurs tellement bien marché qu’on a rapidement envisagé d’étendre cette pratique à d’autres domaines comme les cabanes de jardin (combien de fortunes ont ainsi été cachées aux services de Bercy derrière ces anodines constructions, combien de nababs des potagers se dissimulent derrière ces cahutes faussement modestes ?)…
Malheureusement, quelques mois sont passés et l’analyse a posteriori et loin des caméras et des micros appelle à plus de sobriété. En substance, les piscines n’en sont pas toutes et l’IA de Bercy fait un peu trop de zèle : une fois sur trois, elle trouve une piscine là où il n’y en a pas.
Enfin, dans un pays où les Français se plaignent chaque jour plus que leur administration est déshumanisée et hors sol, que ses procédures de moins en moins empreintes de bon sens écrabouillent toujours plus les individus dans la machine bureaucratique, dans un pays où l’administration semble chaque jour s’éloigner un peu plus des citoyens, des contribuables et des individus qu’elle est sensée servir, Attal – qui a décidément tout compris – propose donc d’ajouter à cette relation déjà distendue un nouvel intermédiaire… Sous la forme d’un outil informatique qui plus est, avec le passif de l’État en la matière.
Forcément, cela va très bien se passer.